⡇d’après un extrait du roman « L’île des rêves écrasés » écrit par Chantal Spitz
Terii vit en Polynésie française. Il est sur le point de partir pour la France métropolitaine.
C’est la nuit. Tematua et Terii sont assis dans le petit fare niau (une maison construite en palmes de cocotier) que Tematua a construit sur un des pièges à poissons de Fauna Nui (du lac).
Tematua regarde son fils qui a obtenu le baccalauréat et qui, dans quelques jours, s’envolera pour la Métropole. Il se demande quelle sera sa vie d’homme, en cette époque troublée où les valeurs de leur peuple reculent pour faire place à de nouvelles, venues d’ailleurs. Il le sent désemparé devant ces bouleversements et songe avec tristesse à sa propre adolescence, à son départ pour la terrible guerre, la seconde guerre mondiale. Tout était facile. Chaque geste, chaque parole étaient hérités des Pères.
Alors, dans la nuit de Maeva, longue oralité transmise d’amour, il transmet à son fils les paroles de leur monde, paroles d’hier et paroles de demain, pour que vive en lui le rêve, rêve de bonheur effacé, rêve d’éternité oublié, différent du sien, rêve d’enfants nouveaux et rêve pourtant semblable.
Lorsque tu t’en iras, mon fils,
Loin de cette terre qui te porte
Tu découvriras des paysages qui raviront ton cœur
Tu connaîtras des hommes qui charmeront ton âme
Tu sauras des femmes qui enchanteront ton corps
Tu rêveras comme tant d’autres avant toi
D’un monde où chaque homme, unique,
Se tient debout dans le soleil levant
Fort de l’amour de tous les fils de la Terre.
Plus jamais la faim, la guerre, la violence, la souffrance,
Plus jamais le vide, le manque, le silence, l’absence.
Tu oublieras peut-être que ton peuple,
Loin là-bas, a besoin, lui aussi,
Du chant du monde et du rêve des hommes.
Le temps s’enfuira, il est toujours pressé.
La vie te maltraitera
Elle fait souvent souffrir ceux qui rêvent.
Quand tu auras laissé s’éteindre le feu de tes rêves
Quand tu auras laissé mourir la vie de tes chants
Reviens chez toi, mon fils,
Ta terre t’attend qui t’a accueilli dans sa lumière.
Rien n’arrachera ce lien qui l’unit à toi.
Reviens chez toi, mon fils,
Donne tes rêves à tes frères,
Avec eux, fais naître ce monde
Où chaque homme, unique,
Se tient debout dans le soleil levant
Fort de l’amour de tous les fils de la Terre.Terii enfouira les paroles de Tematua dans un coin de sa mémoire et son esprit avide de nouveautés oubliera de longues années le chant du rêve.
~ FIN ~